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Vol de 1000 kilomètres
sur les Alpes |
Où étiez-vous le 19 Avril 1997 ?
Si vous aviez pris place dans un planeur, au départ des Alpes du Nord, vous devriez vous en rappeler encore ! Ce jour-là ... non, avant d'aller plus loin, il faut ressituer ce mois d'avril 1997. Rappelez-vous, c'était la sécheresse, les maïs ne levaient pas, les préfets imposaient des limitations d'eau. Epoque bénie pour le vol à voile. Du 2 avril jusqu'au 5 mai, début de la "mousson", cinq journées avaient permis des grands vols. C'est ainsi que Claire Luyat a mis à profit ces journées pour réaliser 5 circuits de 750 Km avec son ASW20. Amateurs de la coupe fédérale à vos calculatrices ! Ces journées-là ressemblaient à celles que l'on trouve en région parisienne lors des descentes printanières de nord/nord-est d'air froid et sec. Et à la clé des départs matinaux. Le bilan hygrométrique était très négatif, la limite neige/sapins bien marquée vers 2000 mètres, la visibilité très bonne. Parmi les inconvénients, on peut noter les jours relativement courts (CS à 19 heures 45, alors qu'en juillet, on dispose d'une heure de plus le soir) et les températures négatives dès 1900 m, -10°C à 3300 mètres, qui interdisent le ballastage de nos planeurs fragiles. Il convient de faire aussi le bilan de son environnement de ce début de saison. Pris dans des turbulences professionnelles, je ne pouvais pas me libérer. Si mon planeur ASW22 A, "2W" avait passé Véritas sans problème, le calculateur VP3 lui, avait décidé de rendre l'âme. A ce sujet, une info utile aux utilisateurs de ce calculateur. PESCHGES a installé une batterie interne dans les années 1985 qui peut couler sur les composants électroniques du calculateur. La remise en état m'est revenue à 3.300F et m'a privé de son utilisation en début de saison. Un changement anticipé de la batterie, par une qui ne coule pas, doit être envisagé afin d'éviter tous ces désagréments. La longue période hivernale étant propice à la réflexion du vélivole, le temps est venu de formaliser les habituelles promesses que l'on se fait en début de saison :
Voilà donc, dans quel état d'esprit j'arrive à Challes avec ma famille le 17. Le 18, je fais mon premier vol de l'année, 750 km en papillon, pour me rendre compte que le planeur sans calculateur, ça vole... mais que ça demande une concentration et une disponibilité inhabituelle au niveau du pilotage. Posé à 18 heures, je retrouve les habitués du week-end qui débarquent et on envisage avec sérénité la journée du lendemain :
A ce propos, le danger du ballastage du planeur en température négative ne vient pas du gel des quelques 100 litres d'eau des ailes (car peu probable, à cause de l'inertie thermique de la masse d'eau), mais du gel du système d'évacuation et de mise à l'air libre ainsi que de la petite quantité d'eau du ballast de queue. Pensez alors aux conséquences : impossibilité de déballaster si nécessaire ou pire déballastage d'une aile seulement, voire catastrophique : les deux ailes mais pas la queue... ! Le samedi 19, à une heure où l'on hésite habituellement entre dernier câlin et premier réveil, je fonce à la station météo de Chambéry/Aix-les-Bains examiner les derniers sondages, les cartes météo et surtout voir où en est cette perturbation venant d'Espagne que les médias nous promettent pour la journée. A ce propos, mesdames et messieurs du Conseil d'Administration, allez-vous nous offrir le récepteur météo, afin que les vélivoles se saluent non pas à la station météo, mais plutôt au hangar ?! Mais peut-on critiquer la politique d'achats de son club qui offre 2 ASH25, 2 LS6 et un Ventus 2C à ses membres pour la perfo ? C'est sûr que d'investir dans quelque chose qui ne vole pas, c'est dur (!) mais cela est justifié, alors par l'utilisation optimale des planeurs. Cette perturbation à 7 heures du matin se trouve sur la partie méridionale du Massif Central et remonte vers le Nord-Est. On va y avoir droit, mais quand ? J'estime les premiers nuages supérieurs vers 15 heures et vers 19 heures la nébulosité 8/8 à Challes. Les sondages sont très favorables avec un déclenchement prévu des premières ascendances sur les faces Est de nos montagnes dès 9 h 30. Retour au terrain, via la boulangerie et sortie des planeurs. La plupart des Challesiens optent pour Challes/ la Furka/ Notre Dame-de-la-Salette/ Chamonix/ Challes (750kms). Pour ma part, je préfère un double aller-retour en direction de la Furka (880 km). Cela me permettra de voir lors du premier aller-retour où en est la perturbation et d'aviser pour la suite. Premier à décoller dès 9 h 55 en 22 mètres d'envergure, sans eau et avec des trous dans le tableau de bord, indignes de ce beau planeur. En passant la Pointe de la Galoppaz à 1.500 m, l'air est déjà agité, mais je préfère attendre 1.800 mètres au Colombier pour rejoindre le monde du silence. Dès le largage, 1,5 m/s jusqu'à 2.400 mètres, pas de cumulus, mais une visibilité exceptionnelle. Les premiers cirrus voilent la région de Montélimar. Mise de cap sur la Sambuy, le Charvin, les petites collines au Nord de Mégève, le Brévent sous les premières barbules. Monté au plafond, je passe la frontière au niveau du lac d'Emosson à 3.100 m ; il est 11 heures. Pendant ce temps, la perfo de Challes rapplique. Je grimpe au Grand Chavalard à 3.000 m, puis au Nord de Sierre, dans des varios ne dépassant pas les 2m/s. Travers Brig à 2.800m, je m'efforce de ne plus descendre en cheminant au pied du magnifique glacier d'Aletsch. Là, je remonte à 3.300 m et pars faire la photo de la Furka en planant dans de l'air calme. En effet, la haute vallée du Rhône est enneigée presque jusqu'au fond de la vallée. Photo de la Furka à 12 h 15 et à 3.000 mètres. Impossible de ne pas jeter un petit coup dil vers l'Est : les prochaines barbules sont à 40 kilomètres, vers Ambri aérodrome. La haute vallée du Rhône, ainsi que la cuvette d'Andermatt sont des zones froides, où le fond de vallée est à 1.600 mètres et il est rare de pouvoir aller virer plus à l'Est avant le 15 mai et en revenir. Je n'ai jamais viré ici, auparavant, aussi tôt dans la journée. Les conditions rencontrées jusqu'à présent sont moyennes et habituelles, mais aujourd'hui, j'y suis une heure plus tôt et cela change tout. Derrière, la meute Challesienne s'est rapprochée, preuve que j'ai mal négocié le passage travers Nord de Brig, mais cela n'explique pas tout. En repassant le travers Nord de Visp au Garsthorn, je percute un +5, jusqu'à 3.500 m. Voilà l'explication: le plafond est monté de 500 mètres et les varios maintenant sont supérieurs à 5 mètres. En tout cas, en ce qui me concerne, durant les 4 h 30 qui vont suivre, je n'intégrerai sur mon Winter en butée que des varios supérieurs à 5 mètres. Des cumulus isolés pour baliser tout ça, des vitesses de transitions de 180 km/h, mais hélas des taux de chute de presque 3 m/s. Et si on rajoute que, je vais réaliser une douzaine de gains de 1.000 ou de 1.500 mètres, vous comprendrez dans quel état d'émerveillement pouvaient se trouver les Savoyards et Grenoblois ce jour-là. Plusieurs mois après, j'hésite encore pour décrire les sentiments qui m'envahirent alors : la félicité ? le bonheur de vivre ? ou simplement la chance d'être le témoin privilégié d'une journée fantastique, surnaturelle, dans cet ASW22 qui monte en silence, les ailes ondulant de plaisir ? Satellisé à des altitudes peu communes pour les Alpes du nord, évoluant avec une visibilité de plus de 100 kilomètres et une nébulosité très faible, j'ai vraiment l'impression de regarder ces cartes en relief stylisées et panoramiques où, d'un seul coup d'oeil, on va de Nice à Innsbruck en passant par Genève. La poursuite du vol, toujours rive droite du Rhône, ne pose évidemment aucun problème. Nord de Sion 3.500 m, puis directement sur le col des Montets où je reprends 200 m pour arriver à une altitude suffisante de 2.000 m au Brévent que je quitte ensuite à 3.500 m. Cap sur le Charvin, le Colombier à 3.500 m ce qui me permet de faire la photo de Challes aéro à 14 h 35 et à 3.100 mètres. Petit bonjour au starter de Challes et cap à l'Est. Prise de la météo ATIS de Lyon : à signaler le QNH de 1.006, ce qui est très bas et les températures de +21° et de -2°. Par rapport à ce matin, point de rosée +3, la masse d'air s'est asséchée, ce qui se vérifie par ces plafonds inhabituels. Quant à la perturb, les alto-cu ont franchi les Alpes du Nord et sont au niveau du sud de Grenoble. La troisième branche se passe exactement comme la deuxième jusqu'à Brig : "à donf". A Munster, le plafond s'élève jusqu'à 4.100m et ne m'incite pas à faire demi-tour, mais provoque plutôt la réflexion suivante : Challes/ Furka 220 Km x 4 = 880 km. 880 -1.000 = -120 que je divise par 2 et tout devient simple : il faut aller virer à Sufers, 70 km à l'Est de la Furka ! Cap sur la pente d'Ambri en passant par le col du Nufenen. Montée au plafond à 3.500 m et cap sur Sufers et son lac. Mais là-bas, c'est une autre histoire.
Plané en direction de la Dent du Midi, de la chaîne des Aravis en pente Ouest, pour sortir sous le Charvin à 1.900 m en ayant chuté à plus de 1 m/s moyen. Albertville aéro est proche, Challes pas encore accessible mais les champs de Francin sont accueillants. Maintenant en milieu de vallée, la chute est à peine inférieure à 1 m/s. La décision est prise d'aller rejoindre la pente sud-ouest de la Dent d'Arcluse. Arrivé à 1.400 m, je réussis difficilement à monter de 100 mètres. Je m'avance sur les petites collines au Nord de la vallée de l'Isère et cela se présente plutôt bien. Je rentre les cartes, passe sur la fréquence starter. A ce moment-là, je tombe dans un "trou d'air " de -5m/s alors que le nez du planeur est en l'air. Je pousse sur le manche pour atteindre 200 km/h, pour me rendre compte que j'ai rendez-vous avec tous les -5m/s de la journée que j'ai évités jusque là. Passage de Montmélian à 800 mètres pour apercevoir Challes sous un plan faible , dans une masse d'air que je ne maîtrise pas. Bonjour veaux, vaches, Pierrette et son pot au lait... ! Adieu amour, gloire et beauté ! Le train sort, vent arrière sur les champs de Montmélian/Francin avec un fort vent de Nord... Le rotor est là, fatal pour moi. Atterrissage sans problème à 20 h 05. Dépannage 30 minutes plus tard par mon épouse et des copains sous les premières gouttes de pluie. Voilà une journée inhabituelle qui s'achève, une journée qui compte dans la vie d'un vélivole. Une de ces journées où les absents ont des remords. Un premier "500 km" en ASW17. Les deux ASH25, le LS6 et un ASW20 ont tourné 750 km. J'ai donné le meilleur de moi-même. Quant à l'ASW22, quel planeur ! Un seul regret toutefois, celui de ne pas pouvoir lire sur un calculateur les statistiques de vol enregistré. On aurait pu y lire quelque chose comme : distance 1.020 km
Oui, c'est bien cela, au départ de Challes, et j'y étais. Alain Courtial |